L'orage Laureline et ses fantômes

La nuit est tombée, doucement, elle nous enveloppe avec tendresse de sa longue cape noire parsemée de soleils scintillants et silencieux.
J’ouvre ma fenêtre, il est tard, les lumières de ma ville se sont éteintes me laissant admirer le ciel d’ébène et ses astres aux lumières fossiles qui me content des histoires d’avant la vie.
Mes yeux se fixent sur un point qui brille faiblement, les signaux qu’il m’envoie me parviennent comme les pulsations d’un cœur gigantesque. Cette lueur, partie depuis la nuit des temps, cette brume rosée qui n’a parcouru ce chemin que pour moi, pénètre mon cerveau après avoir forcé les portes de mes pupilles écarquillées.
Une douleur aiguë traverse mon crâne, un scalpel fouille mon esprit, des milliers d’images insensées et violentes s’imposent à moi, des cris emplissent mes oreilles, mes poumons saturés de cet air lilas semblent exploser. Soudain une vague de plaisir et de joie me submerge, à nouveau des images défilent devant mes yeux à présent clos, des images de bonheur intense, d’espoirs, de joies, de naissances. Je ressens des sentiments confus, inconnus de moi jusqu’à maintenant, je réalise que toutes ces sensations, toutes ces perceptions sont d’un autre âge, d’un autre lieu, d’une toute autre nature que la mienne.
Je suis en suspens, hors du temps, j’écoute les voix qui m’envahissent, je regarde tous ces morceaux de vie qui s’imbriquent les uns dans les autres, je respire ces arômes venus d’un autre monde, je voudrais mordre ces fruits étranges, toucher ces étoffes chamarrées . . .
Un souffle d’air tiède fait voleter les mèches de mes cheveux, j’ouvre les yeux, la rencontre a été si brève . . .
Je scrute l’amas stellaire pour y trouver mon étoile mais je ne la distingue plus, tout ce chemin pour une seconde d’éternité, ai-je rêvé ? Ces cris, ces appels, ces témoignages d’un monde révolu, mort sans doute depuis longtemps, les ai-je entendus ? Les ai-je vus ? Les ai-je ressentis ?
Un bruit mat me tire de ma rêverie, puis un autre, puis une succession de sons brefs et étouffés, les feuilles du cerisier qui caressent la façade de ma maison laissent glisser une goutte d’eau à leur surface, puis une autre goutte suivie bientôt par d’autres gouttes encore.
Un éclair éblouissant déchire le ciel soudain vidé de ses lanternes, un craquement terrible fait résonner la vallée qui court au pied des mes murs, je ferme vivement ma croisée et me réfugie dans mon lit en tremblant.
Dehors la pluie tombe à l’horizontal poussée par un vent puissant, les nuages noirs gonflés d’eau passent au dessus de mon toit à une vitesse effrayante, quelque part un volet mal fixé claque, le bruit des éléments déchaînés ne font qu’ajouter à ma frayeur, c’est comme un silence bruyant, comme des milliers de doigts qui frappent à mes carreaux, j’aperçois la cime de mes arbres qui courbent la tête au gré des bourrasques fantasques.
Je pense au magicien d’Oz, ma demeure va-t-elle s’envoler, emportée par la main géante de cette tempête ? Vais-je retrouver les chaussures rouges de la mauvaise fée ?
Il était écrit que je n’aurai pas à retrouver ces souliers écarlates, la nuit a accroché à nouveau ses strass à son manteau, le vent a chassé les nuages vite, très vite, puis, fatigué, est parti se coucher . . .
Ma flamme rose a disparu à jamais.

Laureline