Laureline troisiéme rencontre

L’invitation.


- Dépêche-toi, ma Nine, il va bientôt être l’heure . . .
- Vi, vi, maman, je suis tellement énervée que mes mains tremblent, je ressemble à un clown qui va attenter à ses jours.
- Laisse-moi t’aider, on n’a pas idée de cacher des yeux aussi ingénus sous une couche de maquillage aussi dense, allez, hop ! On enlève tout ça et on recommence. Ton soupirant risque de soupirer, on dirait deux magnifiques oiseaux mauves englués sous une couche de pétrole, je vais les délivrer.
Allons bon, voilà que maman poétise, je suis presque prête, ses mains habiles transforment mon besogneux barbouillage en un tableau aux couleurs magnifiques, le miroir me renvoie l’image d’une petite demoiselle qui, sans être ravissante, n’en n’est pas moins assez pimpante, maman est une artiste, elle a transformé Cendrillon en princesse . . .
- Tu es très jolie, ma chérie, à croquer . . .
Je minaude en faisant preuve d’une fausse modestie évidente, hihi . . . Maman me demande de tourner sur moi-même afin de déceler le moindre faux pli sur ma robe rouge vermillon, j’ai chaussé, pour l’occasion, de hauts talons pour compenser ma petite taille (il est si grand !) Miroir, miroir . . .
Tout compte fait, je me trouve assez bien, je sors de ma chambre avec une certaine appréhension, on m’a accordé une permission de deux jours et la perspective de me retrouver hors de cet univers aseptisé me terrorise.
A peine l’embrasure de la porte franchie, je suis accueillie par des sifflements et des applaudissements, les couloirs que j’arpente sont bordés de sourires et les compliments sur ma mise fusent de toute part. Je remercie tous ces sourires, les yeux embués par des larmes, ici, je suis, pour beaucoup, une sorte de mascotte, pour d’autres, la petite fiancée du beau Xavier, chacun des pensionnaires que je croise me souhaite bonne chance, ils nous ont tant vus ensemble . . . Ils m’envient et me soutiennent à la fois, les histoires d’amour font toujours recette.
Craignant sans doute une défaillance de ma part, maman qui me suivait à quelques pas, se porte à ma hauteur.
- Quel succès ! Sois heureuse, ma Nine . . .
- J’ai peur, maman, et si il ne me trouvait pas à son goût ?
- Mais, il n’a d’yeux que pour tes jolies mirettes, que peux-tu donc craindre ?
- Sais pas . . . Il ne m’a jamais vu ainsi vêtue, j’étais à l’abri sous mes oripeaux, ils me donnaient le droit d’être quelconque . . .
- Quelconque ? Crois-tu que ton Xavier est aveugle ? Tu es belle comme un ange . . .
Les mamans voient toujours leurs enfants ainsi, ils idéalisent. Nous franchissons la porte d’entrée coulissante, par coquetterie, je me regarde dans son reflet et la petite fille en rouge que j’entrevois m’apparaît élégante et fragile.
Maman a garé la voiture non loin de là, je m’assieds confortablement à l’arrière, nous démarrons dans un doux feulement, je frissonne, mon Amour m’a donné rendez-vous dans un célèbre restaurant, je regarde les rues défiler au travers des vitres teintées et le silence qui règne dans l’habitacle rend le parcours improbable, irréel . . . Aucun son ne me parvient de l’extérieur, je ne sais plus si le monde se déplace tandis que je suis immobile ou bien le contraire. Je me pince pour vérifier que je ne rêve pas, je sors un kleenex de mon mini sac à main pour sécher les larmes qui perlent à mes yeux, je suis soudain saisie par la panique, je demande à rentrer mais aucun mot ne franchit le seuil de mes lèvres . . .
- Nous y voici, ton Xavier nous attend . . .
En effet, j’aperçois un jeune homme d’une rare distinction qui m’ouvre la portière avec un grand sourire.
- Ma Laureline, seul le silence peut décrire ta beauté que les mots ne feraient que trahir . . .
Je reste coite sous le compliment, je tends la main pour qu’il m’aide à sortir de l’auto, je me serre tout contre lui pour étouffer les sanglots de bonheur qui me submergent. Sa chaleur, son parfum, son sourire, la douceur de sa voix, cette impression de force et de souplesse qu’il dégage, cet abandon qu’il reçoit si naturellement résument en cet instant l’intégralité de mon univers.
- Je vous laisse, les enfants, je laisse le monde tourner autour de vous, à ce soir . . .
Nous regardons le véhicule s’éloigner, une nouvelle journée commence . . .

Laureline