Chroniques d'un Mec Ordinaire

Salut, je m'appelle Thierry Spencer.
J'ai 35 ans.
Et je vis... quelque part... dans ta ville, ton village, une cité engloutie, sous les mers, dans l'espace ou dans un trou à rats. Non, en fait, tu t'en fous où je vis.
Tu poses ces questions d'usage mais au fond de toi, tu t'en tapes comme de savoir pourquoi chaque matin, tu te réveilles droit et raide comme un I, la queue entre les jambes à côté de ta bourgeoise qui ronfle dans tes draps depuis maintenant vingt ans et qui ne te fais plus bander.
Tu t'en fous, hein ? Tu te fous de savoir qui je suis, où je vis, ce que je fais ?
Au fond ça t'es égal.
Et bien, je vais te dire. Tu as bien raison.
L'essentiel n'est pas de savoir qui l'on est mais qui on est vraiment.
Ton état-civil, c'est bon pour les cognes.
On se fout de savoir pourquoi tu as épousé ta grognasse, pourquoi chaque soir tu passes tes nuits sur Internet à te branler sur des filles de quinze ans, les seules qui arrivent à te faire fantasmer, pendant que mémère roupille à côté.
Oui, on s'en fout.
C'est ta vie privée, au fond.
Comme moi, là, assis dans le froid de ma piaule, descendant les verres de Bourbon comme on tire les lapins au feu d'artifice, se demandant s'il crèvera d'une cirrhose ou d'un cancer du poumon.
Oui, on s'en fout. On s'en fout de la vie.
Toi, comme moi, on crèvera et on nous balancera au fond d'un trou.
Bah ouais, mon pote, c'est l'atroce réalité que comme des cons on se refuse à voir.
En face.
Et l'on vit de rien. On se berce d'illusions, de mots qui ne veulent rien dire, d'idées légères, on se couvre de fantasmes et sachant bien qu'un jour... ben ouais, il faudra y passer.
Claquer. Clamser.
Fin du chapitre.
Fin, tout court.
Une fois qu'on t'aura fermé les yeux et foutu dans cette boite, on t'enverra dans une fosse à six pieds de profondeur. Et on t'oubliera ou pas. De toute façon, le résultat sera le même, mon pote.
Mais pour le moment, t'es vivant. T'es en bonne santé, tu te dis.
Peut-être qu'au fond de tes tripes, tu couves un putain de cancer, que tout à l'heure, en sortant de chez toi tu rencontreras le chauffard qui t'arrachera à cette vie. A ta vie.
Ouais, tu sais pas de quoi seront faites les prochaines secondes de ton existence... qui seront sans aucun doute les dernières de ta pauvre vie... ou pas.
Ok. J'arrête de te faire chier avec mes conneries.
Tu dois te dire, c'est qui ce "mec" qui se mêle de tout et de rien.
Je te l'ai dit plus haut. Je m'appelle Thierry Spencer.
Je ne suis qu'un pauvre con qui vit quelque part.
Et j'ai 35 ans.
Pourquoi savoir qui je suis ?
Je suis comme toi. Tu sais.
Qu'un pauvre con né comme un con le jour où un homme et une femme eurent choisi de s'emboiter l'un dans l'autre pour former cet abruti que voici.
J'aurais pu naitre ailleurs. Et non je suis né ici.
Comme toi.
Tu vois, la vie ça tient à quoi. Un jet de sperme. Une ovule. Et neuf mois de grossesse.
Et ça donne naissance à des bébés. Des bébés qui grandissent.
Et qui deviennent des hommes.
Et des hommes qui se font chier, qui tournent en rond et qui écrivent des conneries.
Et d'autres qui les lisent.
Il s'fait tard, mon pote. Je vais couper.
Tchao.

Chapitre 2

Chroniques d'un Mec Ordinaire Chroni11

Ce soir, tu t'en doutes, je ne viens pas pour te parler de toi,
ni de moi d'ailleurs.
Non ce soir, je viens partager une bouteille avec toi.
Virtuellement, ceci dit.
Je suis assis, là, dans ce fauteuil-crapaud tout craquelé,
et je me verse une bonne rasade de bourbon.

Je bois ce breuvage par petites lampées
et je m'absorbe dans la contemplation de cette tache
au plafond, en forme d'étoile.
On dirait de la pisse, au vu de la couleur jaunâtre.
C'est marrant.
Tu t'en fous ? Ouais, t'as raison. T'as toutes les raisons de t'en foutre.
T'es marié, tu gagnes un salaire correct, t'as une femme, des gamins.
Et moi, rien.

C'est pas que je trouve cela injuste, chacun sa vie.
C'est que... non, et puis rien. Je ne veux pas te faire chier avec mes problèmes.
Demain, je me réveillerais à nouveau la tête dans le cul et j'irais me dégorger le poireau dans les chiottes en attendant des jours meilleurs.
Ainsi va la vie.
Et la vie, c'est con.

Il n'y a pas que la vie qui soit con. Il y a aussi cette putain d'humanité,
à laquelle nous appartenons, toi et moi.
Nous marchons comme des chats que nous menons à l'abattoir.
Dans un monde où même la peau des couilles est devenue un luxe.
Et pourquoi, au fond ? Quelques billets gagnés à vider des caisses.

L'avenir, je le vois comme une trainée de merde dont on aurait bouché les écoutilles.
Nous sommes au milieu de nulle part, au carrefour entre deux hémisphères.
Bref, c'est la déchéance. Plus rien n'est debout, rien ne se dresse assez pour virer
ce qui fait mal.
Et moi, au fond de mon lit, je m'agite le gland pour oublier. Là, comme un con.
Perdu dans la nuit à désespérer.

Il n'y a pas de solution, au fond, et le trou c'est toi qui le creuse.
Ta mort, mec, tu la prépares en solitaire.

Là, je vais couper, je te dis salut mec.
Et laisse rien trainer de tes idées.
Si t'en as encore.

Ce qu'il nous reste, c'est encore notre paire de couilles.
Alors profitons-en tant qu'on peut s'en servir...
Tchao.

Chapitre 3

Chroniques d'un Mec Ordinaire Chroni12

Salut, tu dois commencer à me connaitre.
Sinon, je te rappelle mon blaze.

Je suis Thierry Spencer, 35 ans.
J'habite probablement ta ville ou peut-être pas, au fond tu t'en fous.
Ce soir, vois-tu, j'ai décidé de m'abstenir de boire.

Je ne veux plus égarer mon esprit dans les vapeurs d'alcool.
Je veux voir. Voir le monde, tel qu'il est. Voir la merde, telle qu'elle m'apparait à ces yeux de voyeur invétéré que tu es.

Je sais que tu aimes ça.
Tu aimes quand je me pose ici, sur ce vieux fauteuil craquelé et que je me tripote la queue, comme un vieux salopard.
Ce soir, exceptionnellement, non... je ne me branlerais pas.
Mais toi, tu vas te branler.

Tu vas défaire ta braguette et sortir ton engin,
et te l'agiter pour faire sortir ton jus.
Je veux te voir jouir solitaire.
Je veux entendre ton râle.

Je veux savoir ce qu'un homme peut ressentir
quand il se branle et qu'il se sait observé.
Ca t'excite, hein ?

Non, je rigole.
Range tes outils. Je ne veux pas les voir.
Je te disais cela pour rigoler.

Non, ce soir... c'est la fête...
Ce soir, j'ai décidé de regarder pousser les marguerites.
De ne rien faire, de ne pas fermer les yeux.
D'attendre.

Attendre quoi ?

J'en sais rien. Attendre le vent, attendre le temps.
Comme quand j'étais petit et que je jouais à rien.
Oui, j'ai jamais vécu dans autre chose qu'un taudis
que même les poules n'auraient pas voulu.

Enfin, c'est la vie comme on dit.
Sur ce, il va falloir couper.
Demain... ah, demain...
Je serais nulle part, demain.

Je serais ici, à compter mes boules, à me sucer la moelle
et m'astiquer la colonne comme un glouton enragé.
Voilà, le programme... demain...

Et toi, oui toi, tu feras quoi demain ?

Chapitre 4

Chroniques d'un Mec Ordinaire Chroni13

Salut mon pote,
C'est toujours moi. Thierry Spencer, 35 ans. J'ai pas changé. Toujours à me trainer dans cette vie sordide cette vieille carcasse qui me sert de corps.
Au fond, je ne trouve plus la sortie.
Et je me branle toujours autant.
Je gicle comme un pompier.
Et il y a maintenant cette blonde pulpeuse qui vient m'allumer tous les soirs sur mon écran d'ordinateur. J'ai envie d'elle. Je voudrais la caresser, lui titiller ses aréoles, la mordiller dans le cou. Je voudrais l'assoir entre mes cuisses et qu'elle s'enfonce ma queue raide dans son petit vagin encore juvénile.
Non mais là j'arrête de fantasmer.
De tout façon cela ne sert à rien. Le monde entier sait que je suis un vieux trou du cul, pervers et alcoolique. Un branleur de première qui n'a jamais rien foutu de sa vie que de se pignoler entre deux caisses. J'ai raté ma vie. J'ai pas assez eu de cran pour tailler dans la viande, pour mordre entre les côtes et je me suis avachi, étalé et amorphe à me pourrir l'existence entre deux pintes de bourbon.
Non, mec, je n'ai plus d'avenir. No future. No way. Ma vie s'écrit sur écran numérique. Je passerais le reste de mes jours à me pochtroner et me pignoler sur des filles de quinze ans virtuelles, les seules qui soit à même encore de faire bander un vieux zéro comme moi.
Je n'ai même plus de bourbon. Je viens d'acheter la dernière bouteille et mon paquet de clopes est vide. Ça me fait chier de retourner chez Raoul pour en acheter à nouveau.
Est-ce que tu as envie de t'écouter la dernière symphonie de Mozart.
Ouais écoute-ça. Et jouis. Mozart... quel génie !
Abandonne-toi, laisse-toi aller au fond. Ne te laisse plus abattre et si je viens à crever que j'ai au moins partagé un moment intense en émotion avec toi.
Nous deux nous sommes comme des oies blanches dans un ciel écarlate.
Je crains qu'il soit désormais trop tard.
L'heure du tocsin est déjà sonné et le monde a brûlé ses dernières cartouches.
Nous sommes à la fin... déjà ? Mais non, sombre crétin, à la fin d'un monde. Je veux dire de leur monde. Mais nous sommes tous embarqués dans la même galère et quoique nous fassions on finira par crever.
Obligés de crever.
Tu te rends compte ? J'ai même pas vécu... et ils nous empoisonnent, ces vautours, ces rapaces, ces chacals.
Mais je ne céderais rien et je préférerais pisser dans une calebasse que de me plier à leurs bottes.
Ils ne savent pas que je suis ici à te parler par écran interposé.
Et quand bien même, de toute façon je les baise.
Voilà ce qui est fait.
Allez je coupe et je quitte la scène, demain sera un autre jour. Mais sera t-il aussi pourri ? Toi tu t'en fous, tu te pavanes, mon pote. Profites-en. La roue tourne, elle tournera encore.
Demain tu seras peut-être mort.
CIAO !

Chapitre 3

Chroniques d'un Mec Ordinaire Chroni14

Thierry Spencer, toujours à l'écoute mais n'écoute plus grand chose.
Je suis crevé, mec, fatigué, lessivé d'avoir trop écumé les bars et m'être pinté la gueule au bourbon tous les soirs.
J'ai la queue en berne et les doigts ankylosés.
Quand je regarde ma tronche dans le miroir, je ne vois plus qu'un cadavre en sursis. Mes traits sont creusés, je me sens vidé de l'intérieur comme une éponge que l'on aurait trop pressé.
Je sais que ce je dis là, tu t'en fous, mon pote et t'as bien raison. Oui, je te fais chier avec mes conneries. Je le vois bien, je le sais bien. Au fond je ne suis qu'un con. Un sale con ordinaire qui n'a d'horizon que ses bouteilles et des photos pornos sur Internet sur lesquelles il passe ses nuits à se branler comme un malade.
Je suis malade.
Je suis au bout du rouleau. Je le sens. C'est en moi, ces glaires qui me font cracher mes boyaux et me donnent une haleine de vieux phoque. Ouais, je suis pas beau à voir. Mon horizon se restreint, ma vision devient trouble, je sens que je pars. Pour moi, c'est le dernier appel pour un train qui part pour l'inconnu. Je suis encore sur le quai dans le brouillard, et toi tu attends.
Tu attends quoi, mon pote ? Tu attends comme les autres, la place, que je dégage. Ouais, c'est ça. T'as raison. Au fond la place d'un con c'est toujours ça qu'un autre n'aura jamais. Et toi tu la veux. Comme je te comprends.
Pour moi, la vie c'est fini. Et ce temps qui m'achève, cette cirrhose qui me ronge, auront bientôt raison de moi. Demain tu viendras jeter des roses sur ma tombe quand on m'aura foutu dans le trou et que je serais bouffé par les vers.
Enfin pour le moment je survis. Pendant combien de semaines encore, combien de mois, d'années ? Est-ce une question d'heure ? P*tain, qu'il est con de crever à 35 ans quand même !
Mais ma vie ne vaut plus rien, plus rien qu'une crotte de chien. J'ai touché le fond et sans espoir de remonter, je préfère m'y noyer et y rester.
Au point où j'en suis, je serais peut-être plus utile à servir en recyclage.
Tchao mon pote.

Chapitre 4

Chroniques d'un Mec Ordinaire Chroni15

Salut, c'est Thierry Spencer.
Mais tu commences à me connaitre.
Tu connais mon humeur, mes coups de griffe, mes coups de sang, mes coups de gueule. Pourtant ce soir j'ai décidé de ne pas boire. Ce soir j'ai décidé d'éteindre la lumière et de laisser vagabonder mon âme dans le noir.
Je ne veux plus voir cette tronche qui se décompose et ses yeux terreux où se miroite le reflet d'un cadavre moisi par l'alcool.
Je sens mes mains qui se crispent sur mes cuisses. J'ai le front en sueur. Des larmes coulent de mes yeux. C'est bon. Je n'avais plus pleuré depuis des décennies. Ce soir, j'ai l'impression d'être redevenu le jeune homme que je n'aurais jamais du cessé d'être. Dans les ténèbres, on se sent mieux. On ne triche plus avec soi-même. Je me retrouve au temps où j'étais un petit garçon, doux et sensible, aux cheveux frisés. Je me revois jouant à des jeux innocents, faisant voler des avions de papier et jouant aux billes dans la cour de mon école. Il aura pourtant fallu grandir, devenir un homme, comme on dit. Le temps des premières amours, premières joies, premières déceptions aussi. Des rêves brisés. Un cœur fendu en deux. Alors je me suis à boire pour oublier. Au début je voulais m'arrêter mais c'est vite un engrenage. A cela s'ajoute le plaisir. Le plaisir de combler l'ennui.
Car je m'ennuie dans ce monde à la con. De voir ces mêmes visages. Et la routine qui revient sans cesse. Je me déteste. Je déteste cette vie. Et je voudrais en finir. Retrouver l'autre rive où mes cauchemars cesseront de me hanter.
C'est pourquoi je bois. C'est pourquoi je me détruis. Pour fuir cette réalité devenue moribonde. Je ferme les yeux. Je ne pense plus à rien. J'attends. Mes larmes ont fini de couler. J'ai comme un goût amer dans la bouche et mes lèvres sont sèches.
Je vais dormir. Ce soir je n'ai plus rien à dire. Plus rien à ajouter.
A bientôt, mon pote. Si je suis encore vivant.
Tchao.

Chapitre 5

Chroniques d'un Mec Ordinaire Chroni16

Salut, c'est Thierry Spencer.
Des rêves éteints et l'âme en berne.
Qui suis-je, au fond, qu'un atome de médiocrité dans un océan de désespoir. Il n'y a plus rien à espérer. J'ai rangé mes rêves au placard et j'ai cessé d'y croire. La vie n'est plus rien qu'un chiffon de merde dans laquelle j'ai trempé ma bile. J'ai tant donné, t'ai trop couru, je suis un homme perdu, lessivé et essoré. J'en ai plus rien à foutre dorénavant de crever. C'est le destin de chacun.
Qu'on se dise sortir de la cuisse de Jupiter ou pas, que l'on chie dans des gamelles en argent ou en argile, il n'y a rien qui résiste au temps. Ce temps maudit qui nous déchire à petit feu.
J'ai couru, trop pressé. Je suis fatigué. Il ne me reste qu'à me laisser couler dans des sommeils sans rêves en attendant le grand saut. Alors je bois pour faire passer le temps. J'en ai marre. Marre de me battre, marre de gueuler. J'ai plus envie de hurler.
J'ai juste besoin de pleurer.
Avant de crever.

Tchao !

FIN

» Un matin ordinaire (G. Fleurdelune)
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