La Question

La question


Elle est grande et gracile, son sourire lumineux est éblouissant, ses yeux noirs et flamboyants animent un visage ovale aux traits fins, une lourde et soyeuse chevelure brune paresse sur ses épaules d’enfant.
Elle est vêtue d’une robe bleue mi-longue au tissu froncé mettant sa minceur en valeur ; une paire de chaussures d’été bleue pastel parachève ce tableau printanier.
La demoiselle va bientôt avoir neuf ans et est déjà aussi grande que moi (suis petite hihi), ses parents m’ont fait l’honneur de me demander d’être sa marraine et j’en suis très fière.
C’est une enfant attentive et intelligente, sa curiosité et sa bonne humeur constante font d’elle une être délicieux et malicieux, grave et profond, gai et plein de fantaisie.
Répondre à ses questions n’est pas chose aisée, elle ne se contente pas d’un « tu comprendras plus tard » elle veut savoir tout de suite, pour elle la vie se dévore à pleines dents, sans attendre.
A son âge seul le présent possède un goût, l’avenir n’est pas de son ressort et ne fait pas partie de ses préoccupations, elle a hâte d’être « grande », elle ne se retourne pas vers le passé, elle va de l’avant, profite de sa jeunesse, s’interroge, rêve, apprend avec boulimie. Elle est confiante, sa candeur n’est pas inconditionnelle, elle peut être méfiante, il m’est plus facile de connaître la part d’enfance qui m’habite que celle d’adulte qui sommeille en elle . . .
Aujourd’hui nous allons au Jardin Municipal de la Perrine, Mathilde a « quelque chose a me demander », cela semble très important pour elle. Je suis un tit peu inquiète, suis jeune encore et je ne sais pas si je pourrai être à la hauteur de sa requête . . .
Il fait beau temps aujourd’hui, la température est douce et le soleil nous caresse des ses rayons d’or, les poissons rouges semblent s’ennuyer dans leur bassin et ne nous regardent même pas passer, un banc fraîchement repeint nous accueille, les azalées exhalent un parfum enivrant, les arbres dont certains sont plus que centenaires nous offrent leurs frondaisons constituées d’un éventail infini de vert . . .
- Laureline ?
- Vi ?
- Maman m’a dit que tu allais nous quitter pour toujours, je ne veux pas !
- Je suis encore là, et puis, c’est ainsi, chacun doit suivre sa voie, tu as la vie devant toi, moi j’ai déjà accompli une grande partie de mon chemin.
- C’est de toi dont je veux parler ma petite marraine, je t’aime, tu sais . . .
- Je t’aime aussi ma petite Amour, ta maman a dit la vérité. Nous faisons tous partie de la nature, certains d’entre nous sont des arbres, noueux, forts et résistants, d’autres ne sont que des fleurs, fragiles, adulées, nourries d’amour et d’attentions touchantes, je suis une de ces fleurs. Nul ne me fauchera, je serai cueillie pour embellir un modeste bouquet, après mon départ ne pleure pas, dis-toi que ce que j’ai été flottera encore dans l’air avec les rires des enfants que même le vent ne pourra emporter.
- Laureline, tu n’es pas une fleur, je n’ai que faire du vent, j’ai besoin de toi, reste avec nous, quand Maman me parle de toi, elle a toujours une petite larme au coin de l’œil, Papa, lui, dit que sa petite sœur vivra plus que ces arbres dont tu me parles et je le crois. J’ai une question et je t’en supplie, réponds-moi, la mort, c’est quoi ?
Une mini bourrasque soulève soudain un peu de la poussière de l’allée me donnant une excuse d’avoir l’œil embué, je ne sais que répondre, la mort n’est pas le contraire de la vie, elle en est peut-être la fin mais peut-être est-elle aussi le début d’autre chose, que répondre à une enfant ? J’ai demandé à une Amie ce que je devrais répondre à cela, elle m’a conseillé d’aller au plus simple, moi qui suis si compliquée, si embrouillée, moi qui tente de tout soupeser, de tout . . .
- Tatie ?
La voix enfantine me tire de ma rêverie, je réalise que je suis restée longtemps silencieuse . . . Merci, mon Amie . . . Je vais te faire confiance, je vais faire simple . . .
- Je suis vivante, Mathilde, vivante ! Tout comme toi . . . Profitons de ces moments, l’intensité d’une vie est souvent préférable à sa durée.
Elle se serra alors tout contre moi en me chuchotant : « Je t’aime ma Laureline, je t’aime »

Laureline