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La Terreur Blanche

Gimdolf_Fleurdelune | Publié le ven 25 Jan - 9:52 | 1846 Vues

Dès la première Restauration, en 1814, les royalistes les plus exacerbés - les Ultras - s'étaient cru tout permis. Le gouvernement des Bourbons accumula les fautes et prépara, contre son gré, le retour de Napoléon de l'île d'Elbe. La soudaineté de cet événement et, pendant trois mois, l'angoisse d'avoir perdu peut-être pour jamais le pouvoir à peine reconquis, exaspèrent les passions jusqu'à la rage.

Les Ultras revinrent en 1815 assoiffés de vengeance et réclamèrent par la bouche d'un de leurs députés, François-Régis de la Bourdonnaye, comte de La Bretèche, "des fers, des bourreaux, des supplices".


C'est une véritable vague de fureur qui s'empara de toute la France et aboutit dans le Midi à des actes de violences, notamment à l'encontre des anciens bonapartistes qui furent massacrés par les populations royalistes. Ainsi fut fait à Marseille où l'on tua une centaine de soldats et plus de 200 habitants entre les 25 et 26 juin 1815, ou encore à Montpellier, à Uzès et à Avignon où le maréchal Brune, enfermé dans une chambre d'hôtel de la ville, fut fusillé par des assassins qui pour l'atteindre passèrent par les toits (2 août).

A Toulouse, on massacra avec une atroce sauvagerie le général Ramel, coupable de vouloir maintenir l'ordre (15 août). A Nîmes, où l'on dénombra 130 victimes, et dans le département du Gard, des troubles sanglants se prolongèrent plus de deux mois : pour mettre fin à la sauvagerie, le préfet en fut réduit à demander l'occupation du département par un corps de troupes autrichiennes.

A côté des vengeances populaires et anarchiques, il y eut les vengeances officielles et les assassinats politiques. Pourtant, dans sa proclamation lancée de Cambrai, le 28 juillet, Louis XVIII avait promis "de pardonner aux Français égarés". Mais il s'empressa d'ajouter qu'il ne saurait accorder son pardon aux "traîtres" qui, en favorisant le retour de l'empereur déchu au pouvoir, "ont fait couler le sang des Français".

Le gouvernement n'attendit même pas, pour frapper, la convocation des Chambres. Sous la double pressions des ultras et des Alliés qui réclamaient des châtiments exemplaires à l'égard "des complices de Bonaparte", le ministre de la Police, Joseph Fouché, fut chargé de rédiger une liste de proscription. 19 généraux y figuraient; la plupart d'entre eux purent s'enfuir. Mais La Bédoyère et quelques autres furent arrêtés, traduits en conseil de guerre, condamnés à mort et fusillés. On fusilla de même, à Bordeaux, les deux généraux Faucher déclarés coupables d'actes de rébellion imaginaires.

Mais la plus illustre victime de ces exécutions fut le maréchal Ney. Ayant décliné la compétence du conseil de guerre, il comparut devant la Chambre des Pairs à laquelle il appartenait et dont il espérait quelque indulgence. Un seul des juges, le duc de Broglie, eut le courage de le déclarer non coupable. Condamné le 7 décembre 1815, à trois heures du matin, à neuf heures Ney était exécuté.

Ces vengeances, pudiquement qualifiées de "mesures de réparation", furent ultérieurement complétées par tout un arsenal législatif approprié et voté par la Chambre des députés. Ainsi furent frappés de la peine de bannissement à vie, tous les "régicides", c'est-à-dire les anciens Conventionnels qui avaient la mort du roi Louis XVI en 1793.

Elle aurait pu frapper plus durement encore sans la ferme résistance du premier ministre du roi, le duc de Richelieu.

Armand-Emmanuel du Vignerot du Plessis, duc de Richelieu, (1766-1822), petit-fils de l'ancien courtisan de Louis XV, émigré en 1789, entré au service du tsar de Russie, il avait été, en qualité de gouverneur d'Odessa, le véritable organisateur de l'Ukraine, et, par là, s'était mérité l'amitié reconnaissante d'Alexandre. Homme de grand coeur, très intelligent, désintéressé, sans ambition personnelle, il n'avait accepté son poste que par patriotisme, dans la pensée, selon lui, de pouvoir utiliser au profit de la France, au cours des négociations du second traité de Paris, les sentiments affectueux que lui vouaient le tsar à son encontre. Bien qu'il ait eu à souffrir de la Révolution, il ne partageait en rien, il blâmait même, les haines violentes des Ultras et tenait pour indispensable d'avoir une politique conciliante et modérée.

Mais il avait en face de lui, une Chambre presque exclusivement composée de royalistes purs et durs. Les élections, en effet, s'étaient tenues en pleine Terreur Blanche et les électeurs libéraux, en beaucoup d'endroits, avaient été éloignés du scrutin par la crainte et, dans le Midi, par la violence directe allant jusqu'au meurtre. Cette Chambre exposa, dans une adresse au roi, un programme précis : elle voulait que des mesures rigoureuses fussent prises "pour comprimer les grandes passions et arrêter le désordre que produirait leur explosion".

Le duc de Richelieu dut donc céder et lui présenta plusieurs projets de lois d'exception, qu'elle vota aussitôt.

Ainsi, toutes les garanties de la liberté individuelle furent suspendues; quiconque se laissait aller à proférer des "cris séditieux" ou de brandir un drapeau tricolore s'exposait à une peine de déportation. Pour faire appliquer ces lois, de nouveaux tribunaux furent institués, que l'on appelle des cours prévôtales. Présidées par un juge civil et deux militaires, elles étaient aptes à juger tous les crimes et délits politiques, tentatives de soulèvement, écrits ou propos séditieux. Leurs jugements étaient sans appel, sans recours à la clémence royale et les sentences étaient exécutables dans les vingt-quatre heures.

Restées en fonction de la fin 1815 à 1818, ces cours prévôtales eurent à traiter un peu plus de 700 affaires politiques, et il fut prononcé plusieurs milliers de condamnations aux travaux forcés, à la déportation, au bannissement et un grand nombre de condamnations à mort. On donna même aux lois d'exception un effet rétroactif, en sorte que l'on vit guillotiner des paysans et d'anciens gardes nationaux coupables d'avoir, au lendemain de Waterloo, avant même la rentrée du roi, d'avoir accompli leur devoir en désarmant ou dispersant des foules de royalistes arborant le drapeau blanc.

Le fanatisme dont firent preuve les députés royalistes à la Chambre, donna toute satisfaction au comte d'Artois - futur Charles X - qui, depuis le début, désapprouvait la Révolution et avait même été parmi les premiers à quitter la France, en 1789.

Mais les Alliés désapprouvaient ces mesures extrémistes qui, selon eux, risquaient de provoquer un nouveaux soulèvement de Français exaspérés. Le Tsar, puis le représentant du gouvernement britannique, le général Wellington, au nom "de la tranquillité de l'Europe", firent par de leurs craintes à Louis XVIII. Celui-ci d'ailleurs, par sa modération son bon sens, était naturellement porté à mettre un terme à ce régime de représailles. Le 5 septembre 1816, il prononça la dissolution de la Chambre. La Terreur Blanche était terminée.

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